La pornographie hypertruquée : une nouvelle arme sexuelle contre les femmes.

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Apparue en 2017, la pornographie hypertruquée (Deepfake Porn) se répand au Québec. En effet, des adolescents d’une école secondaire de Sainte-Thérèse dans la région des Laurentides ont été arrêtés par la police en mars 2024 parce qu’ils avaient diffusé des images à caractère pornographique de leurs camarades de classe sur les réseaux sociaux ; ces images étaient générées par l’intelligence artificielle (IA)

De quoi parle-t-on ?

La pornographie hypertruquée comprend des vidéos, des images et d’autres éléments créés par l’IA, si crédibles qu’ils semblent réels. Une étude américaine a démontré que 96 % des vidéos pornographiques hypertruquées en ligne proposaient de la pornographie non consensuelle. Ces vidéos font l’objectification du corps des femmes et peuvent servir à la pornodivulgation (Revenge Porn) ou à la sextorsion. Désormais, avec des habiletés informatiques élémentaires, il est possible de créer de la pornographie (dite hypertruquée) à partir d’une photo ou d’une vidéo d’ami∙e∙s ou de camarades de classe engagés dans des scènes sexuelles inventées de toutes pièces. Une nouvelle arme numérique vient ainsi d’être créée et ses victimes sont principalement les jeunes filles, les femmes et les enfants, dont l’intimité et la réputation sont violées pour une longue période, compte tenu de la difficulté à faire retirer ces images et vidéos de l’univers numérique.

 

La pornographie juvénile est un crime

Après avoir falsifié des images et vidéos de responsables politiques et de vedettes féminines internationales, telles que Taylor Swift et Emma Watson, les créateurs de pornographie hypertruquée se sont attaqués aux jeunes de 17 ans et moins, produisant de ce fait de la pornographie juvénile. Pourtant, cette dernière est interdite depuis 1993 par la société canadienne, qui estime que les personnes âgées de 17 ans et moins doivent être protégées, non seulement comme victimes utilisées dans la production, mais également en tant que spectatrices d’activités sexuelles explicites. En effet, les jeunes sont considérées par la loi comme des êtres vulnérables qui ne peuvent consentir, de manière libre, éclairée et en continu à de tels comportements sexuels. Selon le Code criminel canadien, la production (art. 163.1 (2)) et la distribution (art. 163.1 (3)) de pornographie juvénile sont des actes criminels passibles d’un emprisonnement maximal de 14 ans et d’une peine minimale d’un an. 

 

Or, de 2006 à 2022, les données de Statistique Canada révèlent que ce sont les infractions sexuelles commises par des jeunes contre d’autres jeunes qui ont connu la plus forte augmentation, soit 24 850 %, passant de 4 à 998 jeunes inculpés. De ce nombre, 579 jeunes l’ont été pour production et distribution de pornographie juvénile et 458 autres ont été inculpés pour distribution non consensuelle d’images intimes.

 

Un nouveau phénomène qui inquiète

En décembre 2023, l’émission de Radio-Canada Les décrypteurs a consacré un reportage à ce nouveau phénomène : « Porno non consensuelle générée par IA : une explosion en popularité qui inquiète ». On y explique que « [d]es sites qui permettent de dénuder, en quelques clics et sans consentement, n’importe qui dans une photo à l’aide de l’IA connaissent une explosion en popularité. ». Des journalistes expliquent comment ces sites opèrent et des spécialistes abordent les lois non respectées et les recours possibles pour les victimes de cette pornographie non consensuelle générée par l’IA. Ils considèrent que les enfants et les adolescents sont vulnérables face à ce nouveau phénomène.

 

Quelles sont les motivations des producteurs de pornographie hypertruquée ?

Pour leur part, des scientifiques américains révèlent que les motivations des producteurs de pornographie hypertruquée sont l’humiliation, l’extorsion et le harcèlement de leurs victimes ou encore la possibilité de s’initier et de satisfaire leur propre excitation sexuelle. D’autres facteurs sont évoqués, tels que la curiosité, la compulsion ou un intérêt sexuel spécifique ainsi qu’une vengeance à l’égard d’une ex-copine. Il peut s’agir aussi de l’affirmation de son identité masculine, d’une domination sur les filles et les femmes grâce à l’IA et de sa puissance à faire et défaire une réputation.
 

Néanmoins, les chercheuses et chercheurs identifient des effets négatifs chez les producteurs de pornographie hypertruquée : l’apparition de distorsions cognitives entre le réel et le virtuel, une culpabilité à l’égard des victimes, de même qu’un trouble de la personnalité paranoïaque lors de la diffusion de leurs productions dans Internet. Il semble, par ailleurs, que les producteurs de pornographie hypertruquée soient conscients de l’illégalité de leurs gestes. Les adolescents s’exposent à recevoir une mesure et/ou une sanction extrajudiciaire et/ou d’avoir à subir un procès. On souligne enfin leur peur de voir leur photo utilisée dans une porno hypertruquée gaie alors qu’ils sont hétérosexuels, leur peur de perdre leur réputation auprès des ami∙e∙s. et camarades de classe ainsi que la peur que leur contribution à la sexualisation de l’espace virtuel mène à des crimes sexuels réels.

 

Quels sont les préjudices causés aux victimes de la pornographie hypertruquée ?

Selon les scientifiques américains, 99 % des victimes de la pornographie hypertruquée sont des personnes de sexe féminin. Plusieurs effets négatifs sont identifiés. Les victimes n’ayant pas consenti à la production de telles images ou vidéos parlent d’intrusion dans leur intimité sexuelle. Elles se sentent violées virtuellement. Certaines estiment que tous les aspects de leur vie ont été affectés. Elles souffrent d’anxiété, de symptômes dépressifs, de stress post-traumatique, de peurs irrationnelles et viscérales, notamment celles de perdre leur emploi et de subir des violences sexuelles. Pour plusieurs, il s’agit d’une expérience de dévastation qui les a amenées à quitter les réseaux sociaux afin d’éviter d’être à nouveau victime de pornographie hypertruquée. Enfin, beaucoup se sentent isolées, apeurées, déshumanisées et, surtout, impuissantes devant cette bataille sans fin qu’elles ne pourront pas gagner quoi qu’elles fassent dans cet univers virtuel contrôlé par les garçons et les hommes.

Par ailleurs, le gouvernement du Québec a adopté un nouveau recours juridique permettant aux personnes de prévenir ou de faire cesser le partage sans consentement d’images ou vidéos intimes. Il s’agit du Projet de loi no 73, Loi visant à contrer le partage sans consentement d’images intimes et à améliorer la protection et le soutien en matière civile des personnes victimes de violence en novembre 2024. À suivre…

Des ressources à consulter:

Si vous êtes victimes de pornographie, hypertruquée ou non, créée et diffusée sans votre consentement, n’hésitez à faire appel aux ressources suivantes :

Cyberaide.ca : https://cyberaide.ca/fr/

Aidez-moi svp : https://aidezmoisvp.ca/fr/ 

Le Centre canadien de protection de l’enfance : https://protegeonsnosenfants.ca/fr/

 

 

Sources:

 Ratner, C. (2021). http://doi:10.1111/fcre.12576

 Harris, D. (2019). https://scholarship.law.duke.edu/dltr/vol17/iss1/4/

Pechenik Gieseke, A. (2020). https://www.proquest.com/docview/2454190545?sourcetype=Scholarly%20Journals

Jutras, J. (2024). https://www.ourcommons.ca/Content/Committee/441/SECU/Brief/BR12926021/br-external/JutrasJohanne-Revised-f.pdf.

 Yates, J. & De Lancer, A. (2023), p. 1. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2031358/pornographie-non-consensuelle-intelligence-artificielle

 Harris, D. (2019). https://scholarship.law.duke.edu/dltr/vol17/iss1/4/

Brieger, A. R. (2024), p.15. https://www.diva-portal.org/smash/record.jsf?pid=diva2%3A1873192&dswid=7645

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Éducaloi (2024), p. 6. https://educaloi.qc.ca/capsules/adolescent-et-infraction-criminelle-plusieurs-suites-possibles/

Brieger, A. R.  (2024), p. 48, https://www.diva-portal.org/smash/record.jsf?pid=diva2%3A1873192&dswid=7645

 

 

 


 
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